Le modèle et le perroquet - Chloé Dugit-Gros

Exposition du 16 mars au 26 juin 2024, conçue par Chloé Dugit-Gros.

L'exposition

Le modèle et le perroquet

Chloé Dugit-Gros
+ invité Elie Godard

Exposition du 16 mars au 29 juin 2024

L’exposition, que Chloé Dugit-Gros a conçue pour la galerie Raymond Hains, prolonge ses recherches sur la manière dont les œuvres peuvent participer pleinement à la «  vie  » d’un lieu et de ses usager.ères : ici un espace d’exposition inscrit dans une école d’art. L’artiste ne renonce pas pour autant au rapport contemplatif à l’art ; ses objets (dessins, sculptures, peintures) se regardent, s’admirent mais le plus souvent intégrés à un faisceau de relations, rarement de manière exclusive.

Chloé Dugit-Gros réalise ainsi ici un ensemble d’œuvres qui peut être «  activé  » par les élèves, les professeur.es de l’école et les visiteur.ses. Elle a proposé que certains enseignements dits académiques (modèle vivant.e, modelage, peinture…) puissent être dispensés dans l’espace d’exposition. Les modèles vivant.es tout autant que les élèves et le public peuvent poser sur des sculptures-socles, se changer derrière une sculpture-paravent, dessiner depuis des sculptures-tabourets ou encore s’installer sur des sculptures-banquettes. En invitant ces visiteur.ses à s’approprier les lieux, l’artiste introduit de la porosité dans la forme même de l’exposition. Une forme ouverte, en mouvement, évoluant à mesure de ses usages qui se ré-inventent chaque jour. La citation de Claude Cahun, que Chloé Dugit-Gros reprend sur une série de dessins colorés accrochée au mur et sur le rideau qui traverse dans sa largeur l’exposition, éclaire sur ce qui est en train de se passer et plus généralement sur la posture artistique de ces deux artistes : I’m in training. Don’t kiss me. (Je m’exerce. Ne m’embrassez pas).

Que disent-elles ? Que dit Claude Cahun sur la photographie noir et blanc réalisée en collaboration avec Marcel Moore, dont s’est inspirée Chloé Dugit-Gros, et sur laquelle la première apparaît assise, jambes croisées, le visage fardé fixant l’objectif et arborant un haut moulant clair sur lequel sont inscrits ces quelques mots ? Peut-être qu’elles, ces artistes, sont aussi toujours en formation. Qu’elles ne revendiquent ni formats établis ni d’identités fixes. Qu’on ne peut définir leur travail de manière univoque et sans considérer la façon dont il dépasse ou déborde largement des espaces circonscrits de l’art. Ce travail de suture se traduit chez Chloe Dugit-Gros par une recherche qui mélange de façon réjouissante et jamais permanente les références que l’histoire parfois isole - elle regarde et emprunte ainsi tout autant à la culture du graffiti, à un minimalisme émancipé de ses canons, à un design eighties qu’à une certaine idée du bricolage domestique.

Le titre de l’exposition, Le modèle et le perroquet, fait référence au monde des outils et de la technique qu’elle aime tant (le perroquet est un outil pour dessiner des lignes courbes), mais évoque également le binôme que l’histoire de l’art a érigé en héros, le peintre et son modèle. Le peintre et celui ou celle qui le regarde. L’artiste démiurge et son sujet. Seulement ici le modèle devance l’artiste, iel n’est plus seulement muse mais condition du travail en train de se faire. Et le perroquet, non sans espièglerie, est l’avatar de l’artiste flamboyant.e qui répéterait inlassablement la même chose. Mais la recherche artistique ne s’incarne t-elle justement pas dans ce bégaiement ininterrompu, ces essais sans cesse renouvelés? L’école d’art n’est-elle pas le lieu par essence de l’émergence de cette quête dont la résolution n’adviendra probablement jamais ? En réconciliant ces deux figures - le modèle et le perroquet - Chloé Dugit-Gros tente d’adoucir les rapports parfois conflictuels de l’artiste avec son propre travail en le confiant aux mains délicates du public.

Solenn Morel